La popularité grandissante des musées et des sites historiques au cours du 19e siècle a permis le développement d’une variété de dispositifs de présentation. Les responsables de ces institutions ont usé d’imagination pour attirer les visiteurs et leur offrir des expériences variées. Plus grand sanctuaire dédié à saint Joseph au monde, l’Oratoire n’est pas en reste dans cet engouement touristique. Les différents travaux d’aménagement des années 1950 et les préparatifs entourant le 50e anniversaire du sanctuaire en 1955 marqueront l’offre culturelle du site avec l’inauguration de différents lieux d’exposition.

 

Un Musée pour frère André

Le projet de création du Musée du frère André germe dès 1946. Les procès-verbaux du conseil d’administration de l’Oratoire précisent qu’un comité composé de trois pères de Sainte-Croix y travaille. Ces derniers se questionnent sur les différentes possibilités de scénographie. Un voyage à New York avec le statuaire Joseph Guardo (1901-1978) est même organisé afin de trouver des sources d’inspiration.

Installé au niveau 4 dès 19521, le musée se compose d’une pièce abritant le cœur du frère André, de vitrines d’objets lui ayant appartenu et de trois scènes grandeur nature, appelées period rooms : frère André dans sa loge de portier du collège Notre-Dame (fig. 1), frère André dans son bureau de consultation à l’Oratoire (fig. 2) et la chambre d’hôpital où frère André rend l’âme le 7 janvier 1937 (fig. 3).

Frère André dans sa loge de portier du Collège Notre-Dame

Fig. 1

Frère André dans son bureau de consultation à l'Oratoire

Fig . 2

Chambre d'hôpital où frère André rend l'âme le 7 janvier 1937

Fig. 3

L’expression period room pourrait se traduire par « intérieur d’époque ». Il ne s’agit pas nécessairement d’une reconstitution à l’identique d’un lieu précis, mais plutôt d’un décor qui fait écho à un espace réel ou un tableau servant à évoquer un moment dans l’histoire; tel un cliché. Ce type de dispositif muséal apparaît au 19e siècle et sa popularité l’amène à se répandre au cours du 20e siècle.

Question d’authenticité

Ce qui est particulier à l’Oratoire, c’est l’originalité des trois reconstitutions. Les objets qui y sont présentés sont de l’époque de frère André ou lui ont appartenu. Quant aux murs, la plupart sont bien ceux qui étaient dans les différents lieux d’origine.

Loge de portier

Frère André a été portier au Collège Notre-Dame, en face de l’Oratoire, pendant près de 40 ans. Pour des raisons d’espace, le collège démolit la loge de frère André en 19312. Au début de l’année 1942, la direction du collège décide de reconstituer la pièce (fig. 4) avec les meubles qui avaient été conservés. En 1973, lors de nouveaux travaux d’aménagement au collège, on démantèle la pièce et transfère le mobilier à l’Oratoire3.

Reconstitution de la loge du frère André

Fig. 4 : Image tirée de Les Annales de Saint-Joseph, Mars 1942, p.82.

Bureau de consultation

Après avoir quitté ses fonctions au collège en 1909, frère André reçoit des milliers de visiteurs à l’Oratoire. Son bureau, qu’il appelait « son bourreau », avait été laissé tel quel à la suite de son décès. Annexé à la boutique d’objets de piété, jouxtant la Chapelle d’origine, ce local est accessible au public qui pouvait également se recueillir devant le reliquaire du cœur de frère André installé le 15 novembre 1939. En 1952, le bureau tout entier est déménagé au niveau 4 face au cœur.

Chambre d’hôpital

Un concours de circonstances amène l’Oratoire à récupérer les murs et le mobilier de l’hôpital Notre-Dame-de-l’Espérance où frère André décède. Sur la photo ci-dessous (fig. 5), notez la présence de la statue de frère André dans le lit. Les réactions trop vives dues au réalisme de la scène ont rapidement poussé la direction à retirer la sculpture qui est aujourd’hui conservée au musée.4

Carte postale. Centre d'archives et de documentation Rolland-Gauthier, C4-4-4.

Fig. 5 : Carte postale, Centre d’archives et de documentation Rolland-Gauthier, C4-4-4.

Musée de cire, vrai ou faux?

L’édition de juillet 1955 du guide touristique de l’Oratoire présente le Musée du frère André. On y souligne le travail de Joseph Guardo et l’on précise que les personnages sont faits de plâtre recouvert d’une mince couche de cire. Cette précision peut sembler anodine, mais elle est à l’origine d’une erreur perpétuée encore aujourd’hui (fig. 6 et 7). En effet, on se met dès lors à parler d’un musée de cire, ce qui est faux.

Diapositives
Visionneuse à diapositives

Fig. 6 et 7 : Exemple d’objet touristique présentant le bureau de consultation avec l’indication « wax figure » (personnage en cire). Dans la collection du musée de l’Oratoire, cette visionneuse à diapositives (2010.46.1-14) a été offerte en don par Marguerite Claude, fille d’Azarias Claude. Grand ami de frère André, M. Claude était portier au bureau de consultation à l’Oratoire et chauffeur lors de visite chez des malades.

Ce qui est vrai par contre, c’est qu’un musée de cire côtoyait l’Oratoire. Ouvert au public de 1937 à 1989, le Musée historique canadien trônait au coin des chemins Queen-Mary et Côte-des-Neiges. On y présentait de nombreuses scènes religieuses catholiques et de l’histoire canadienne, dont une period room représentant Albert Chartier qui modèle le buste5 de frère André réalisé en 1936 (fig. 8).6

Illustrated Souvenir of the Wax Museum, Musée historique canadien Limitée, Centre d'archives et de documentation Rolland-Gauthier.

Fig. 8 : Illustrated Souvenir of the Wax Museum, Musée historique canadien Limitée, Centre d’archives et de documentation Rolland-Gauthier.

De l’histoire à l’art contemporain

Depuis quelques années, nous observons une résurgence de l’intérêt pour les period rooms. Les historiens.nes. de l’art et les artistes en art contemporain étudient et se questionnent sur ce procédé scénographique.

Cette année, la galerie VOX, Centre de l’image contemporaine déploie un projet d’envergure intitulé Period rooms, en collaboration avec cinq institutions muséales montréalaises. Contrairement aux musées et lieux historiques qui s’intéressent à l’aspect visuel de la period room, VOX se concentre plutôt sur l’environnement sonore.

À l’Oratoire, l’artiste Steve Bates intervient dans l’expérience de visite par l’ajout d’une trame sonore. Créée spécialement pour le lieu, elle s’insère dans une démarche de recherche sur les hallucinations auditives. Les interventions, disposées dans la loge du niveau 4 et à la Chapelle d’origine de frère André seront en place jusqu’au 31 juillet 2019.

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1 Selon les plans de l’architecte Gilbert Moreau (1919-1982).
2 Revue Les Annales de Saint-Joseph, février 1942, p.82-84.
3 Correspondance entre les recteurs Paul C. L’Archevêque, c.s.c. et Marcel Lalonde, c.s.c., 25 et 26 octobre 1973.
4 Revue L’Oratoire, juillet-août 1952, p.16-17 et dos de couverture de septembre 1952.
5 Une copie du buste est exposée en permanence dans la salle d’attente de l’actuel bureau de consultation de l’Oratoire, près de la chapelle votive.
6 L’ensemble des personnages de cire est conservé au Musée de la civilisation depuis 1989. Radio-Canada souligne cette année le 30e anniversaire de fermeture du Musée historique canadien en publiant cette vidéo.