La petite histoire du grand orgue Beckerath de la basilique de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal à Montréal

C’est en 1957 que Rudolf von Beckerath installe un orgue de 44 jeux à la Trinity Lutheran Church de Cleveland en Ohio. À cette occasion, il fait le voyage jusqu’à Montréal, invité par les organistes Kenneth Gilbert, Raymond Daveluy et Lucienne et Gaston Arel.

Un voyage pour le moins décisif puisqu’il se concrétise ultérieurement par l’installation de trois instruments : celui de la Queen Mary Road United Church en 1959, celui de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal en 1960 et le magnifique orgue de l’Église de l’Immaculée-Conception en 1961. Trois instruments majeurs de Beckerath qui propulsèrent la réforme de l’orgue au Québec et dans toute l’Amérique du Nord.

Mise en contexte

La première correspondance concernant l’achat de l’orgue de la basilique de l’Oratoire Saint-Joseph-du-Mont-Royal date du 25 février 1958. Il s’agit d’une lettre de la direction du sanctuaire, adressée à monsieur Rudolf von Beckerath, facteur d’orgues allemand, l’informant qu’il avait été choisi pour construire le grand orgue de la basilique, laquelle, à cette époque, était toujours un vaste chantier sur le point d’aboutir. Le contrat a été signé le 23 juin 1958, le facteur s’engageant à livrer l’orgue 30 mois plus tard. Toute la correspondance subséquente concernant la conception de l’instrument est constituée de lettres écrites dans un français très élaboré et raffiné, de part et d’autre. Au cours de ces échanges, monsieur Beckerath soumit aux autorités de l’Oratoire une composition sonore et différentes esquisses de buffet sous forme d’aquarelles aux teintes dominantes de bleus et de jaunes. Les architectes de l’Oratoire n’apprécièrent pas les premiers dessins proposés : trop de lignes obliques. Ils demandèrent à voir des lignes verticales plus dominantes. Quant à la composition sonore, monsieur Daveluy, organiste de l’Oratoire, proposa, par l’entremise du recteur, de la modifier afin d’être en mesure de jouer un Récit de Tierce.

En 1959, la construction put enfin commencer dans les ateliers de Hambourg et, quelques mois plus tard, 167 caisses furent envoyées par bateau vers Montréal. L’installation de l’instrument prit huit mois. Le 13 novembre 1960, monsieur André Marchal, éminent organiste français, donna le concert inaugural.

Rapidement, l’orgue de l’Oratoire connut un rayonnement considérable. Concerts et enregistrements se succédèrent. Monsieur Daveluy, compositeur et organiste titulaire pendant de nombreuses années, œuvra dans ce sens. Eut lieu aussi la série de concerts des mercredis soir, Les Concerts spirituels, où se produisirent de grands organistes.

Réception des tuyaux de l'orgue

Réception des tuyaux de l’orgue Beckerath à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal.

Description de l’instrument

Le buffet est construit en pin d’Oregon avec un système de grands panneaux en contreplaqué. La structure intérieure est faite de gros poteaux de bois et de traverses de métal profilées en I. L’Instrument est de toute évidence inspiré du « Werkprinzip ». Il s’agit d’une conception verticale où chaque plan sonore est bien défini. La Pédale, avec sa Montre de 32′, est de chaque côté de l’instrument. Le Grand Orgue est au centre avec sa Montre de 16′ et dessous se trouve le clavier de Bombarde avec les chamades. Tout en haut du buffet trône le Récit, derrière son Principal de 8′ en façade, hors boîte. L’Écho quant à lui est directement au-dessus de la console. Le Positif de dos est loin du dos de l’organiste… à plus de quatre mètres de distance. Il est disposé en encorbellement centré sur la rambarde du jubé. L’orgue est monumental : il mesure 18 m de hauteur, 14 m de largeur et pèse près de 40 tonnes! L’orgue est alimenté en vent par deux ventilateurs installés dans une pièce à l’étage inférieur de la tribune.

Orgue Beckerath - basilique

Quelques anecdotes

Lors du montage de l’instrument, les facteurs eurent la désagréable surprise de voir qu’on appliquait des panneaux absorbants sur les plafonds de la basilique. Beckerath en fut très mécontent et essaya tant bien que mal de composer avec la nouvelle acoustique beaucoup plus sèche. Il fit construire une Soubasse 16’ de pédale plus grosse et transféra le jeu d’origine dans le nouvel orgue de l’Immaculée-Conception.

En 1966, des travaux importants furent entrepris dans la basilique. La décoration intérieure fut complètement changée, on installa les dalles de pierre sur toute la surface du plancher et on enleva les panneaux acoustiques. Après ces travaux, Beat Grenacher et Hellmuth Wolff firent des retouches et égalisèrent l’harmonie. Le buffet de l’orgue, qui était à l’origine plus clair, d’une teinte miel ambré, sensiblement comme l’intérieur de la console, fut refait plus foncé, d’une teinte tirant sur le rouge bourgogne.

C’est aussi à cette époque que furent adressées à Beckerath des demandes de modifications : l’ajout d’une Trompette au Récit, l’ajout de l’accouplement Récit sur Positif et de deux tirasses, Grand Orgue sur Pédale et Récit sur Pédale, plus deux autres demandes surprenantes : déménager l’orgue dans le transept gauche et diviser le buffet du Positif de dos en deux sections! Beckerath refusa de réaliser toutes ces demandes.

La restauration et un nouveau souffle musical

À la suite d’une subvention importante versée à l’Oratoire par le ministère de la Culture, les fonds réservés à l’orgue sont confiés au Conseil du patrimoine religieux du Québec. Bien que l’instrument ne date que de 1960, on le considère comme un instrument historique. Les démarches en vue d’une restauration commencent. Le facteur d’orgues George Taylor, ayant travaillé chez Beckerath, est nommé consultant. Son entreprise, Taylor & Boody de Staunton en Virginie, a restauré avec succès en 2009 le grand orgue Beckerath de Pittsburgh installé en 1963.

Les entreprises Casavant frères, Juget-Sinclair et les Orgues Létourneau soumissionnent sur un cahier des charges très précis. La restauration de l’instrument est confiée à Juget-Sinclair. La restauration de l’instrument commence en septembre 2011 et, après plus de 8 000 heures de travail, se termine en juin 2012.

Suite à cette restauration et à l’arrivée d’un nouvel organiste titulaire, Vincent Boucher, une véritable vie musicale s’anime autour de l’instrument, alors que plus de 50 récitals sont maintenant présentés chaque année, mettant en vedette 40 organistes parmi les plus réputés au monde et plus de 1000 musiciens et choristes qui interprètent des concertos, des symphonies, des messes, des œuvres de musique de chambre, des improvisations, des tangos et de la musique traditionnelle irlandaise.

Même 150 guitares électriques ont tenté de rivaliser avec l’orgue lors d’un concert unique en 2019 qui s’est déroulé devant plus de 3000 auditeurs ! Une pièce de théâtre pour enfant, des ateliers, des journées portes ouvertes et 6 nouveaux enregistrements sous étiquette ATMA Classique et XXI permettent aussi de voir et d’entendre l’orgue Beckerath de plus près. Bref, les ressources de ce majestueux instrument semblent toujours illimitées près de 60 ans après son installation.

Orgue Beckerarth - restauration
Restauration orgue Beckerath